BOSC ou l’éclat de Vivre -

     Depuis son retour du Viêt Nam quatre ans auparavant, Bosc, brisé par la guerre, essaye en vain de retrouver un sens à sa vie lorsqu’il découvre, en ce printemps 1952, un livre de dessins d’humour signé Mose. Il passe tout l’été à dessiner en cachette, puis après un tri sans pitié, brûlant plus de 200 dessins, il se sent prêt à affronter Paris avec les 49 dessins restants et deux semaines de sandwiches en argent de poche.

     Il a 28 ans, n’a jamais étudié le dessin, mais il veut à tout prix « s’en sortir » et son talent, son envie de guérir, de vivre et son besoin de témoigner sont si forts qu’il va très vite s’imposer parmi les meilleurs. Quelques mois après être entré dans le bastion Paris Match (où il va dessiner pendant 17 ans), on le trouve dans un livre relié « The Best Cartoons from France » édité aux Etats-Unis, où il figure déjà, avec Chaval, aux côtés de ses aînés Mose et André François.

     Le dessin d’humour lui avait sauvé la vie et allait devenir sa raison de vivre.
     Le dessin d’humour français va prendre une nouvelle dimension internationale grâce aux quatre piliers que deviendront Mose, Chaval, Bosc et Sempé, inséparables dans leur travail comme dans la vie.

     Pourchassant la bêtise jusque dans les moindres recoins, Bosc s’invente un univers : la Boscavie, où chaque habitant porte en lui une absurdité, une faille, où la foule n’est qu’une multiplication des tares de chaque individu, où chacun ne pense qu’à aller le plus vite possible en droite ligne au tombeau et où son personnage ; Blaise le Boscave ; trébuche sans fin sur les innombrables embûches qui le séparent de son bonheur.
      Les personnages de Bosc doivent porter devant eux un grand appendice nasal, poids de l’égo, de la honte, de la culpabilité, qui finit par les entrainer en avant en leur voûtant le dos, et malheur à celui qui voudrait s’en débarrasser … il ne sera plus dans « Match » !.

     « La raison de mon style, dit Bosc, c’est que je ne sais pas dessiner. »
      Ce qui caractérise l’œuvre de Bosc, est cette épuration qui fera dire à un chroniqueur que Bosc dessine plus à la gomme qu’au crayon. Il efface le superflu pour graver de son trait unique l’essentiel dans un océan de blanc.
      Le blanc semble être la chose la plus importante, tant Bosc revient sur son dessin, pinceau de gouache à la main, pour effacer le moindre brin d’herbe inutile. Ainsi le lecteur ne pourra pas prétendre ne pas avoir vu la monstruosité d’une facette cachée de sa propre vie étalée de manière si évidente sur le papier.

     « Malheur au naïf qui rirait imprudemment du boscave sans s'être préalablement regardé dans un miroir. »
      Le mariage d’un graphisme sans faille, imposé par un trait inimitable gravé plutôt que dessiné sur du papier à gros grain et d’un gag à priori bénin mais poussant toujours le lecteur à la réflexion, est le secret du talent de Bosc. Durant 20 ans, ce trait implacable, a mis à nu l’absurdité et la bêtise des comportements humains.
      Les sujets les plus graves ont ainsi pu être traités, faisant naître un sourire (certes amer, mais un sourire tout de même) sur nos visages.

     Bosc ne dessine pas pour amuser (même si l’hilarité est générale !), mais pour montrer.
Le dessin de Bosc est
nécessaire.

     Sully André Peyre écrivait en 1956 « On devine en Bosc une grande inquiétude, une nervosité aigüe, une tristesse ineffaçable; mais elles ne se manifestent jamais d'une façon repoussante. Je crois que rien n'est gratuit dans les dessins de Bosc; les données, si on peut dire, en sont terriblement onéreuses pour la pauvreté des hommes.
    C'est ainsi que l'humour amer non seulement met sa marque indélébile sur le passé ridicule ou le présent piètre, mais encore agrippe à l'épaule l'avenir douteux. »

Ce visionnaire, écorché vif dont les dessins sont toujours d’actualité 35 ans après sa disparition, ce révélateur de l’absurde qui mettait à mort sans concession les idées reçues et dénonçait les habitudes moutonnières et les atrocités des conflits autant intérieurs que planétaires, était un être calme au regard bienveillant, toujours à l’écoute de l’autre, silencieux jusque dans son sourire et dont la tristesse n’était pas communicative.
Alors qu’il distribuait quelques blagues autour de lui, ses yeux ne laissaient pas percevoir ce qu’ils venaient de détecter, la grossièreté, l’hypocrisie, l’absurdité du comportement humain … il gardait tout ça en lui et le recrachait seulement devant sa feuille blanche.

     Affaibli par la maladie et attaqué par l’armée et la censure, Bosc n’a jamais baissé la plume et a dénoncé jusqu’au bout les tortionnaires de tout pays et de tout partis, montrant entre autre, avant qu’on puisse en parler librement, l’horreur que fût la guerre d’Algérie.

     De nombreux prix ont ennobli la carrière de Bosc : Prix Emile Cohl du meilleur court métrage pour « Le voyage en Boscavie » en 1958 ; Grand Prix de l’Humour du magazine « LUI » en 1965 ; Grand Prix de l’Humour Noir Grandville en 1970 pour son livre « Je t’aime » ; Prix de l’Humour de la ville d’Avignon en 1972. Deux médaille Bosc ont étés frappées à la Monnaie de Paris, en 1971 et 1981, et deux rues portent aujourd’hui son nom, l’une dans son village natal d’Aigues Vives et l’autre à St Just le Martel.

     En 1973, Bosc avait édité 8 albums de dessins en France, 13 albums à l’étranger, il avait été publié dans près de 70 livres d’humour collectifs à travers le monde et on le retrouvait dans une trentaine de revues.
Depuis sa disparition, 8 albums ont été publiés en France, dont 3 sont toujours disponibles en librairie et publiés aux éditions du Cherche Midi :
Voyage en Boscavie (2003) – Alors on se promène ? (2005) – Deux pour la vie (2007).

     Bosc a collaboré en France à : Paris-Match (1952 - 1970), France-Dimanche (1953 - 1962), Semaine du Monde (1953 - 1955), L'espérance (1953), Samedi Soir, Optimiste (1954), Lecture pour Tous (1954 - 1958), Le Petit Silence Illustré (1955/1958), Populaire Dimanche (1955), Constellation (1955 - 1956), Notre Époque (1956), Marie-Claire (1956), Divertissements (1958), Jours de France (1958), France-Observateur (1958 - 1963), Almanach de Radio Luxembourg (1959), Pilote, Haute Société (1960), Bizarre (1960 & 1964), Les Parisiens (1961), Minute (1962 - 1965), Hara Kiri (1962 - 1963 & 1973), L'Os à Moëlle, Le Nouveau Candide (1964), Lui (1964 - 1973), Eclats de Rire (1964 - 1966), Pariscope (1965), Femme d'Aujourd'hui (1965), Action, L' Enragé (1968), Le Nouvel Adam (1968), Le Nouvel-Observateur (1968 - 1969), Maison de Marie-Claire (1969, 74, 77), Elle (1969 / 71), Le Monde, Hara Kiri Hebdo (1969), Sud-Ouest Dimanche (1970 / 1979), Nice matin (1970 / 73), Télé Gadget (1970 / 71), Politique hebdo (1970), Le Crapouillot (1970 / 1973), L' Express (1972), Charlie Mensuel (1973), Le Canard Sauvage (1973), Le Rire, Charlie-Hebdo, Radar, Le Temps de Paris, Paris-Presse, Combat, La Croix, Le Canard Enchaîné...

    « Que feriez-vous si vous ne pouviez plus faire de dessins ?
- J’épouserais une femme riche ou je me planterais mon porte plume dans le cœur. »


      Après 25 années de lutte contre la maladie, dont 3 sans plus pouvoir dessiner, Bosc s’est planté son porte plume dans le cœur à Antibes le 3 mai 1973.

 

 

Alain Damman

 

 

                       

 

Ci-dessous, la traduction en anglais de cet article :

 

BOSC bursting out living –

     Since his return from Viet Nâm 4 years before, Bosc, broken by the war, tried in vain to find a direction in his life when he discovered, in the spring of 1952, a book of humor signed Mose. He then spent all summer drawing in secret, and after a merciless choice of the best pieces that threw on the pyre more than 200 drawings, he set off to Paris with 49 cartoons under the arm and 2 weeks of survival money in his pocket.

     He is 28, never studied in art schools but he wants to succeed at all costs and the combination of his talent with the urge to heal the wounds of war and the craving to live and testify are so strong that pretty soon he finds himself among the best. A few months after having entered the stronghold which was Paris Match for the young cartoonists of this time, Bosc was published in the U.S.A. in a book titled “The best cartoons from France”along with Chaval, Mose and André François.

     Humor had saved his life and was going to be his very reason for beeing alive.
French Humor will reach a new international standard thank’s to the talentous team that was Mose, Chaval, Bosc and Sempé, inseparable in their work as in life.

     Chasing stupidity to the most hidden recesses, Bosc creates his own universe, Boscavia, where every inhabitant bears within himself a nonsense, a fault, where the crowd is only a reproduction of the flaws of every individual, where each one thinks only about driving as fast as possible straight into the grave and where his character, Blaise the Boscave, keeps on stumbling endlessly over the numerous traps that keep him from happiness.
Bosc’s characters must carry in front of them a big nose, the weight of ego, of shame and sin, which ends up pushing them forward, bending their backs. God helps the fool who would try to get rid of it … he will no longer be in “Paris Match”!.

     “The reason for my style, says Bosc, is that I do not know how to draw.”
      What characterizes the work of Bosc is the apparent economy of means. A columnist wrote that Bosc worked more with a rubber than with a pencil. He erases the superfluous to draw with his very particular line what is essential in an ocean of white. The white seems to be so important in Bosc’s drawings, that he finishes it, paintbrush of gouache in hand, by eliminating the slightest useless blade of grass. So the reader cannot pretend not to have seen the ugliness of a hidden part of himself displayed so obviously all over the page.

     “Misfortune to the innocent who would laugh carelessly at the Boscave without having looked beforehand in a mirror.”
      The mariage of a flawless graphic, imposed by his thick trembled line engraved rather than drawn on some heavy grained paper and of a cartoon a priori good-hearted but always pushing the reader on second thoughts is the secret of Bosc’s talent. During 20 years, Bosc’s drawings have mercilessly unveiled the absurdity in human behavior.
The most painfull subjects have thus been approached, creating a smile (certainly bitter, but a smile nevertheless) over the reader’s face.

      Bosc does not draw to amuse (even if hilarity prevails!), but to point out.
      The drawing of Bosc is necessary.

     Sully André Peyre wrote in 1956 "We assume in Bosc a big anxiety, a sharp nervousness, an indelible sadness; but they never show up in a revolting way. I believe that nothing is for free in Bosc’s drawings; the facts, if we can say, are terribly expensive for the poverty of men.
And so bitter humor not only puts its indelible mark on the ridiculous past or the dullish present, but even grabs at the shoulder the doubtful future."

     This visionary, tormented soul whose drawings are so actual 35 years after he disappeared, this master-revelator of the absurd who destroys without concession the established certainties and denounced the sheepish habits of the crowd and the atrocities of conflicts, be they interior or planetary, was a quiet being with a friendly glance, always lending an ear to the other, silent even in his smile and the sadness he carried was kept for himself.
While he distributed some jokes around him, his eyes did not let perceive what they had just detected, the rudeness, the hypocrisy, the nonsense of human behavior. He kept it all within himself and re-spat it only in front of his white page.

     Weakened by sickness and brought to court by the army and censorship, Bosc has never put down his pen and denounced up to the end the executioners of any country and of quite left, pointing among other things, and before one could speak about it freely, at the horror of the Algerian war.

     In 1973, Bosc had published 8 cartoon albums in France and 13 albums abroad. He had been published in about 70 collective books of humor worldwide and we found him in around thirty magazines. Since his disappearance, 8 albums were published in France, among which 3, published in “éditions cherche midi”, are available in bookshops :
- Voyage en Boscavie (2003) - Alors on se promène ? (2005) - Deux pour la vie (2007).

     Bosc collaborated with : Paris-Match (1952-1970), France-Observateur, Marie-Claire (1956), Divertissements (1958), La Maison de Marie-Claire (1969, 74, 77), Elle (1969 / 71), Politique hebdo (1970), Télé Gadget (1970 / 71), Nice matin (1970 / 73), Sud-Ouest Dimanche (1970 / 1977), Charlie Mensuel (1973), Le Nouvel-Observateur, L' Express, Constellation, Pilote, France-Dimanche, Le Rire, Lui, L'Enragé, Haute Société, Minute, Bizarre, Charlie-Hebdo, Radar; Notre Époque, Le Temps de Paris, Paris-presse, Le Canard Enchaîné, Le Crapouillot, Action, Combat, La Croix, and abroad with : Maillou helvien, Play-Boy, Die Zeit, Frankfurter Zeitung, Stern, Il Messagero, Daily Telegraph, Punch, Esquire, Oui, Cavalier (u.s.a.), Scottie Club Nachrichten, Everybody's Weekly, Palante (Cuba), Sie und Er, La Tribune de Genève, L' Illustré (Suisse).

     " What would you do if you could not make any more drawings?
- I would marry a rich widow or stab myself with my pen. "
      After 25 years of wrestling against the disease, and the last 3 without being able to draw, Bosc planted his pen in his heart in Antibes on May 3rd, 1973.

Alain Damman