Sully-André PEYRE nous parle de BOSC dans sa revue "Marsyas" en janvier 1957 (n° 334) :

 

BOSC

                 Le surréalisme a fort influé sur le dessin humoristique, mais cette influence est peut-être plus superficielle que profonde, ou, pour mieux dire, plus technique qu'intellectuelle; d'ailleurs, - mais c'est une autre histoire, - le surréalisme a-t-il beaucoup à faire avec l'intelligence ? Quand il n'est pas une manifestation de l'instinct, il n'est guère qu'une ruse charlatanesque.

                 L'illusion d'optique, à plat sur le papier, est sans doute plus facile, parce que tout y est arbitraire, que le trompe-l'oeil des décors de théâtre; dans le Pêle-Mêle de notre adolescence, quelques dessinateurs l'utilisaient, assez bonnement.

                A première vue, certains dessins de Bosc diffèrent peu de ceux de quelques-uns de ses confrères; mêmes procédés de simplifications, même raccourcis, même schémas de corps et de visages. Mais on ne s'attarde pas à cette impression de surface. Je dirai en passant (cela a son importance aussi) que les dessins de Bosc n'ont jamais rien de crapuleux, de nauséeux. (Je ne parle pas de celle que soulève ce qu'il y a parfois d'ignoble dans les personnages et que le dessinateur doit étaler; mais de celle causée par ce qu'il y a d'ignoble dans certains caricaturistes eux-mêmes, - comme dans certains pamphlétaires). On devine en Bosc une grande inquiétude, une nervosité aigüe, une tristesse ineffaçable; mais elles ne se manifestent jamais d'une façon repoussante. Certains dessinateurs réussissent même à nous écoeurer avec des enfants comme personnages.

               Ce qui caractérise Bosc, ce qui le rend presque unique, et, à tout le moins unique par un degré plus élevé, ce n'est pas seulement cette propreté, - c'est encore , au-delà des moyens employés, la signification terrible. Bosc ne dessine pas pour amuser; (même lorsque ses dessins sont amusants, leur cocasserie est triste); il dessine pour exprimer (c'est le cas de le dire, car ses dessins se présentent toujours sans l'aide d'une légende, et se suffisent à eux-mêmes), les grandes comme les petites absurdités de la vie, les étriquements, par quoi les hommes se font trop souvent un mauvais destin, depuis la manie vétilleuse, l'habitude processionnaire, l'automatisme hébété, jusqu'à l'idée fixe et l'idée fausse; c'est la fatalité simplement humaine, et évitable; mais il y a aussi la fatalité extra-humaine (je ne dis pas hyper-humaine) à peu près inévitable, les caprices incompréhensibles des choses qui sont, les surprises extrêmes, au moment même qu'on peut croire au salut.

               Je crois que rien n'est gratuit dans les dessins de Bosc; les données, si on peut dire, en sont terriblement onéreuses pour la pauvreté des hommes.

               Les créatures sont donc prises entre leurs propres enfantillages et les jeux cruels des dieux obscurs.

Je témoigne avec vous que le sort est absurde;
Mais nous pouvons périr plus sages que le siècle.

              Ainsi disait Jean Hytier, après 1914, dans son recueil de poèmes La belle sorcière. Malheureusement, pour les hommes, peu d'entre eux sont "plus sages que le siècle", et ce petit nombre est réduit à l'impuissance et ne peut que périr, en protestant.

              Une des fatalités factices et puériles de l'humanité est la guerre, avec sa préparation et son maintien par la force hypocrite, le bourrage de crâne, la parade et les hochets. Bosc excelle à montrer tout cela; son dernier album : Petits Riens (1), fait voir sur la couverture un général devant une rangée de soldats, qu'il décore l'un après l'autre, en prenant les médailles sur une brouette qui en est débordante. Est ce une charge ? Non.

             Je viens de lire dans la Gazette de Lausanne du 3 décembre 1956, une "charge" assez lourde : "Lu dans Newsweek : Le gouvernement américain paie vingt mille dollars par an pour le stockage de quatre mille tonnes de médailles militaires non réclamées par leurs bénéficiaires, combattants de la dernière guerre mondiale".

            Chez Bosc, c'est plutôt une prophétie. L'album a été achevé d'imprimer en juin 1956; or, on pouvait lire dans les journaux du 25 septembre 1956, ce titre : Un contingent illimité de croix de la légion d'honneur et de médailles militaires pour les troupes en opération en Afrique du Nord.

           C'est ainsi que l'humour amer non seulement met sa marque indélébile sur le passé ridicule ou le présent piètre, mais encore agrippe à l'épaule l'avenir douteux.

SULLY-ANDRE PEYRE

1. - Fernand Hazan, éditeur, 35 - 37 rue de Seine, Paris (6e)

 

Sully-André Peyre est natif d'Aigues-Vives, comme Bosc.

Il fut un poète renommé, en langue Provençale.